Comment le cerveau répare le bégaiement - 2009 - Kell, Neumann, Giraud

Une bonne grosse traduction, pour vos longues soirées d'hiver, ça vous dit ? Ca faisait longtemps. "Comment le cerveau répare le bégaiement" par l'équipe allemande de Kell, Neumann, Giraud..etc en 2009. Ce rapport est disponible gratuitement en anglais en ligne ici.

N'ont pas été traduit : les procédures, méthodes, données de résultats...etc. Ont été traduits : l'intro, la discussion, la conclusion.
Choix de traductions : Fluence = Fluidité ; Noyaux grix centraux = ganglions de la base, à quelque chose près ; Substance blanche = matière blanche. 'Normaliser' veut dire régulariser.
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Résumé pour les fainéants, si j'ai bien compris (et en vrac) :
- Chez les totalement rétablis ("réparation optimale") sans thérapie ni aucune aide, mobilisation très focalisée autour de la déconnexion gauche (déjà vu chez des enfants -Soo-Eun Chang 2006), sur le cortex orbito-frontal postérieur gauche
- La compensation à droite ne fonctionne pas, peut-être à cause de sa position justement à droite par rapport au reste du réseau du langage à gauche, et aussi parce qu'elle communique mal avec ce réseau à gauche.
- Après une thérapie, re-basculement des hyper-activations à gauche, mais selon eux ça tient plutôt du changement de comportement...
- Les dysfonctionnements des noyaux gris centraux ne seraient que secondaires, conséquents
- Ils suggèrent entre autres que le "cortex auditif se désactive dans l'anticipation de la parole bégayée, pour réduire l'incohérence entre la parole programmée et la parole réelle chez les persistants"
- En conclusion, la caractéristique des totalement rétablis du bégaiement est l'implication du cortex orbitofrontal gauche, périphérique à l'anomalie.
- Les chercheurs suggèrent -de façon un brumeuse- des exercices de ryhtme en-dehors de la parole

Brain – A journal of Neurology (2009)
Comment le cerveau répare le bégaiement
Source
Christian A. Kell,1,2 Katrin Neumann,3 Katharina von Kriegstein,4 Claudia Posenenske,3 Alexander W. von Gudenberg,5 Harald Euler 6 and Anne-Lise Giraud 2,7
1 Brain Imaging Center, Department of Neurology, Johann Wolfgang Goethe University, Frankfurt, Germany ; 2 Département d’Etudes Cognitives, Ecole Normale Superieure, Paris, France ; 3 Department of Phoniatrics and Pedaudiology, Johann Wolfgang Goethe University, Frankfurt, Germany ; 4 Wellcome Department of Imaging Neuroscience, University College London, UK ; 5 Institut der Kasseler Stottertherapie, Bad Emstal, Germany ; 6 Institute of Psychology, University of Kassel, Germany ; 7 INSERM U960, Paris, France

Le bégaiement est un trouble neurodéveloppemental associé à des anomalies structurelles frontales inférieures gauches. Si les enfants se rétablissent souvent, le bégaiement peut aussi disparaître spontanément beaucoup plus tard après des années de disfluence. Ces rares cas de rétablissement sans assistance à l'âge adulte fournissent un modèle de réparation optimale du cerveau, en-dehors des croisées classiques de la plasticité développementale.

Ici, nous examinons ce qui distingue ce type de rétablissement de modes de réparation moins optimales, c'est-à-dire le rétablissement assisté induit par thérapie, et compensation tentée chez les sujets qui sont toujours affectés. Nous montrons que le bégaiement persistant est associé à la mobilisation de régions du cerveau, contralatérales jusqu'aux anomalies structurelles pour la tentative de compensation. Par contraste, le seul point de repère de réparation optimale est l'activation de la BA 47/12 gauche dans le cortex orbitofrontal, adjacent à une région où une anomalie de substance blanche est observée chez les personnes bègues persistants, mais normalisée chez les sujets rétablis. Ces découvertes montrent que la réparation tardive du bégaiement neurodéveloppemental suit les principes de réorganisation contralatérale et periphérique à l'anomalie.

Mots-clés: plasticité; rétablissement; IRM fonctionnelle ; production de parole ; orbitofrontal
Abréviations: AF = anisotropie fractionnelle; PQB= personnes qui bégaient ; PBP = personnes bègues persistant; PBR = personnes bègues rétablies

Introduction
Le bégaiement développemental est un trouble héréditaire (Dworzynski et coll., 2007) affectant environ cinq pour cent des enfants durant la phase d'acquisition de la parole (Bloodstein, 1995). La disfluence se manifeste d'habitude autour de l'âge de trois ans, ce qui suggère une étiologie simple durant le développement du système neural sous-jacent à la production de parole. Pourtant, des groupes distincts de personnes bègues (PQB) émergent, en fonction des développements subséquents des symptômes. Trois enfants bègues sur quatre, davantage les filles que les garçons, se rétablissent sans aide et la probabilité d'un tel rétablissement diminue jusque dans l'adolescence (Yairi et Ambrose, 1999; Howell et coll., 2008). Comme le trouble lui-même, le rétablissement sans aide dans l'enfance est héréditaire (Ambrose et coll., 1993; Dworzynski et coll., 2007) et par conséquent engage plus probablement des mécanismes neuraux robustes et reproductibles. L'échec de rétablissement durant l'enfance produit une fréquence de bégaiement de 1% dans la population adulte avec un ratio homme/femme d'environ 4:1 (Andrews, 1964). Globalement, le cheminement du bégaiement est variable selon les individus, et une anomalie neurodéveloppementale commune provoque vraisemblablement différents processus compensatoires, produisant des résultats variables.
Figure 1 Vue d'ensemble schématique de la production de parole chez des locuteurs fluents et des personnes bègues.
Durant la production de parole, les locuteurs fluents activent le cortex frontal inférieur gauche (vert : planification de la parole et contrôle exécutif de la parole), le cortex temporal supérieur bilatéral (lavande: phonologie, retour auditif) et le cortex moteur articulatoire bilatéral (rose). Les personnes bègues montrent des anomalies structurelles frontales inférieures gauches (la croix) et hyper-activent des régions de l'hémisphère droit incluant l'opercule frontal (1), la jonction temporo-pariétale (2) et le cortex dorso-latéral préfrontal (3) pendant la production de parole. Pour une revue voir Brown et coll. (2005).


Les enfants qui bégaient tendent à montrer des anomalies développementales de l'aire de Broca, par exemple moins de matière grise dans le gyrus frontal inférieur gauche, et une désorganisation de la substance blanche dans l'opercule rolandique gauche au-dessous de la représentation moteur de l'articulation (Chang et coll., 2008). Ces anomalies du cerveau gauche sont toujours visibles chez des adultes bègues persistants (PBP) (Foundas et coll., 2001; Sommer et coll., 2002) habituellement avec une latéralisation fonctionnelle plus faible des processus liés à la parole (Brown et coll., 2005). Par rapport aux contrôles fluents, l'activité neurale chez les adultes persistants durant la production de parole est d'habitude augmentée dans les régions fronto-pariétales droites du cerveau, incluant l'opercule frontal [aire de Brodmann (BA) 47/12], l'insula antérieur, et dans le vermis du cervelet (Fig. 1). Des activations anormales sont aussi détectées dans les noyaux gris centraux (Giraud et coll., 2008).

Des thérapies comportementales de 'modelage de la fluence' (‘fluency shaping’ NdT) (Webster, 1980), qui modifient le tempo de la parole, la prosodie, le rythme, les débuts de discours et les techniques de respiration, réduisent avec succès la sévérité du bégaiement à moins de 1% de syllabes bégayées (Euler and Wolff von Gudenberg, 2000). Les thérapies de fluency-shaping réduisent l'hyper-activation de l'hémisphère droit, normalisent l'activité des noyaux gris centraux et réactivent le cortex de l'hémisphère gauche (De Nil et coll., 2003; Neumann et coll., 2005; Giraud et coll., 2008). Cependant, un résultat thérapeutique stabilisé requiert des exercices répétées et des sessions de renforcement. Une relatéralisation du réseau de la parole est par conséquent d'habitude seulement un processus de réparation transitoire et, globalement, insuffisant.

Un sous-groupe de personnes bègues réussit à se rétablir sans aide même à l'âge adulte (Ingham et coll., 2005). Le rétablissement à l'âge adulte est imprévisible, ne semble pas être héréditaire et n'est pas associé à une stratégie de rétablissement suivie (Finn, 1996; Finn et coll., 2005; Ingham et coll., 2005; Howell et coll., 2008). En explorant les mécanismes neuraux chez ces personnes bègues rétablies (PBR) nous nous attendons à identifier les mécanismes qui sous-tendent la réparation durable du bégaiement. En particulier, une comparaison de l'activité neurale induite par la thérapie comportementale avec le profil de réorganisation des PBR sans aide devrait élucider les limites de la gestion actuelle du bégaiement et identifier des cibles potentielles pour des thérapies comportementales et/ou pharmaceutiques futures.

Nous avons comparé la morphologie du cerveau (matières grise et blanche) et les activations durant la production de parole fluente chez les persistants (avant et après une thérapie fluency-shaping), chez les rétablis PBR, et chez des sujets de contrôles en utilisant l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Nous avons dissocié la pathogenèse liée aux anomalies des effets de compensation en reliant la magnitude de l'anomalie neurale à un degré individuel de symptôme (sévérité du bégaiement autonome). Nous avons suivi le raisonnement que lorsqu'une anomalie apparaît plus proéminente chez les personnes bègues moins symptômatiques, elle signale un effet de compensation résultant en l'atténuation du bégaiement. Par contraste, quand une anomalie est plus prononcée chez les sujets bègues plus affectés, cela indique une dysfonction première liée à l'origine du bégaiement. L'implication d'une région donnée dans la pathophysiologie originale est davantage confirmée si une corrélation positive de l'activité neurale avec la sévérité du bégaiement est abolie par la thérapie. Ce paradigme nous permet d'identifier les mécanismes associés avec une compensation optimale pour éventuellement mobiliser de tels mécanismes dans les thérapies futures.

Discussion
Un comportement égal durant le scan et une corrélation avec la sévérité du bégaiement autonome a permis la classification des résultats comme anomalies liées à la pathologie (côté gauche), tentative de compensation contralatérale, relatéralisation induite par thérapie, et réparation optimale du cerveau par la région frontale inférieure gauche elle-même (résumé dans la figure 5).

Anomalies latéralisées à gauche et origine du trouble
La réduction de matière grise corticale observée dans le gyrus frontal inférieur gauche chez toutes les personnes bègues co-variait positivement avec la sévérité du bégaiement, et était indépendante de la rémission, c'est-à-dire une compensation efficace, suggérant que la région est étroitement liée à l'origine du trouble. Ce gyrus se développe anormalement chez les enfants qui bégaient (Chang et coll., 2008). Chez les contrôles, il met à jour les plans d'action comme une fonction du contexte sensoriel immédiat (Koechlin et coll., 2003), une fonction hautement utile à l'intégration du feedback sensoriel dans le programme moteur de la parole, qu'on pense être altéré dans le bégaiement (Max et coll., 2004). Le retour auditif de notre propre expression contrôle le flux rythmique de l'articulation, et les disfluences peuvent être induites ou corrigées par une manipulation du feedback auditif temporel (Lee, 1951; Lotzmann, 1961; Van Borsel et coll., 2003b).

Des valeurs AF augmentées relatives à des segments frontaux inférieurs de faisceaux de fibres des contrôles connectant les régions temporale gauche, pariétales, et insulaire avec le lobe frontal ont précédemment été rapportées (Watkins et coll., 2008). Comme dans le syndrôme de Williams (Hoeft et coll., 2007), elles peuvent reflèter un branchement focalisé de fibres apparaissant comme une ‘hyperconnectivité’, qui prend son origine dans un échec à éliminer les synapses rudimentaires pendant le développement (Neil et coll., 1998; Huang et coll., 2008), et résultant finalement en une transmission d'information hors de propos (Catani and fytche, 2005; Catani, 2007). Ces découvertes confirment ainsi que la connectivité entre le cortex frontal inférieur et son homologue contralatéral et les aires postérieures, telles que le cortex moteur articulatoire gauche, est altérée chez les personnes au bégaiement persistant (Salmelin et coll., 2000).

En résumé, des changements structurels chez les PBPersistants qui sont proéminents dans la région frontale inférieure gauche et dessous la représentation moteur gauche de l'articulation (Fig. 5) (Sommer et coll., 2002; Chang et coll., 2008; Watkins et coll., 2008) sont plus que probablement lié à la pathologie du bégaiement. Le site orbitofrontal postérieur apparaît comme clé dans le processus de rétablissement.

Le striatum bilatéral, le planum polare, l'insula antérieur gauche et l'opercule rolandique gauche étaient plus actifs chez ces sujets avec les symptômes les plus prononcés dans la partie IRMfonctionnelle de l'étude, et sont ainsi aussi vraisemblablement impliqués dans la pathophysiologie du bégaiement (Fig. 5). L'opercule rolandique gauche, juste au-dessus de l'aire ou l'intégrité de la substance blanche est réduite, représente les commandes moteur de la parole. Nous supposons que la substance blanche défectueuse a résulté en une hyperactivité du cortex correspondant, une dysfonction qui n'était pas compensée localement par la thérapie.

L'hyperactivité du cortex moteur articulatoire gauche pourrait aussi être interprétée comme une conséquence directe de sa disconnexion fonctionnelle et montre du doigt un trait caractéristique du bégaiement développemental.

Les noyaux gris centraux sont souvent suggérés comme étant impliqués dans la pathogénèse du bégaiement parce que le bégaiement partage des caractéristiques cliniques avec des troubles classiques des noyaux gris centraux (par ex. Les mouvements involontaires, amélioration des symptômes avec balisage externe temporel ou avec une médication antidopaminergique) (Bloodstein, 1995; Alm, 2004; Maguire et coll., 2004). Comme on n'a trouvé aucune anomalie structurelle dans les noyaux gris centraux, un fonctionnement anormal des noyaux gris centraux (Wu et coll., 1997; Giraud et coll., 2008) indique probablement une réponse à un défaut structurel distant (c'est-à-dire la région frontale inférieur gauche).

Des programmes moteurs articulatoires altérés (Salmelin et coll., 2000; Max et coll., 2004) pourraient facilement se traduire en une hyperactivité dans les noyaux gris centraux via les boucles cortico-striatales (Alexander and Crutcher, 1990; Grillner et coll., 2005).

Une réponse primaire à la dysfonction était aussi trouvée dans le planum polare et l'insula antérieur gauche. Ces régions sont critiques pour le traitement de mesure (Liegeois-Chauvel et coll., 1998; Vuust et coll., 2006) et participent ainsi à l'integration du feedback auditif dans les programmes moteurs (Hashimoto and Sakai, 2003; Christoffels et coll., 2007). Leur profil d'activité chez les personnes avec bégaiement persistant désignent directement une intégration sensorimoteur altérée (Max et coll., 2004) appelant des changements adaptatifs compensatoires.

Tentative de compensation spontanée par le cerveau droit
Avant la thérapie, les changements compensatoires adaptatifs étaient localisés aux régions du cerveau contralatérales aux anomalies structurelles (Fig. 5). Ces hyper-activations de l'hémisphère droit pendant la parole étaient inversement correlées à la sévérité du bégaiement, et de ce fait ne sont pas inadaptés. Nous classifions ce profil neural comme une compensation "‘essayée’, puisque leur mobilisation ne mène pas au rétablissement. La délatéralisation n'est pas restreinte au réseau de parole, parce que de même différents aspects non-moteurs du langage sont plus fortement représentés à droite (Ingham et coll., 2000; Preibisch et coll., 2003a; Biermann-Ruben et coll., 2005). Cette délatéralisation est indépendante de la préférence manuelle puisque nous avons étudié des sujets gauchers et droitiers.

La thérapie a supprimé les hyper-activations dans les régions droites préfrontales latérales et pariétales, ce qui suggère que la compensation essayée (mais pas les résultats de thérapie) implique un contrôle attentionnel et exécutif (Fox et coll., 2006).
Une corrélation inverse avec la sévérité du bégaiement a été aussi observée dans le cortex orbitofrontal postérieur droit (BA 47/12), qui est critique dans le contrôle comportemental (O’Doherty et coll., 2003) et participe sérieusement à la compensation pour le bégaiement (Preibisch et coll., 2003a).
Tous les groupes de personnes bègues sous-activaient plus de régions médianes du cortex orbitofrontal bilatéral (région 13). Alors que BA 47/12 intègre l'information auditive dans la circuiterie orbitofrontale, l'information somatosensorielle atteint le cortex orbitofrontal plus moyennement dans la région 13 (Kringelbach, 2005). Nous proposons ainsi que le cortex orbitofrontal exerce un contrôle différentiel de l'intégration du feedback somatosensoriel (réprimé) et auditif (augmenté) lors de la génération de parole. Nous avons observé une dissociation similaire dans le cervelet, ou l'intégration moteur-auditif dans le vermis était augmentée tandis que les hémisphères cérébelleux étaient relativement réprimés (Penhune et coll., 1998; Schulz et coll., 2005).

L'effet compensatoire de l'intégration du feedback auditif dans le programme moteur se manifeste aussi dans l'activation du cortex auditif. Quand ils parlent avec fluence, les personnes avec bégaiement persistant semblent capables d'incorporer des éléments du feedback auditif, que nous voyons comme activité augmentée du cortex auditif durant le scan. Dans des études antérieures, la désactivation du cortex auditif était proportionnel à la sévérité de la disfluence (Fox et coll., 1996; Braun et coll., 1997; Fox et coll., 2000; Stager et coll., 2003 Van Borsel et coll., 2003a), ce qui implique vraisemblablement que le cortex auditif se désactive dans l'anticipation de la parole bégayée pour réduire l'incohérence entre la parole programmée et la parole réelle chez les PBPersistants (Eliades and Wang, 2008). Parce que l'activation orbitofrontale droite, auditive et cérébelleuse n'est pas modulée par le rétablissement, assisté ou non, cet ensemble ventral de régions constitue le système coeur de la réparation du bégaiement qui est mobilisé pour améliorer la fluence (Fig. 5).

Normalisation de l'activité périsylvienne après la rémission assistée du bégaiement
Les thérapies induisant la fluence sont classiquement associées à un basculement des hyper-activations vers l'hémisphère gauche (De Nil et coll., 2003; Neumann et coll., 2005), qui pourrait en fait reflèter seulement un changement dans le comportement. Ici, des comportements égalisés pendant le scan avant et après la thérapie nous ont permis de relier les effets de la thérapie à des changements adaptatifs plutôt qu'à de simples changements dans la manière de parler. Nous avons observé que la thérapie a réduit l'essai de compensation par les régions dorsales du cerveau et relatéralisé le système de production de parole, excepté pour le système-coeur ventral de compensation (Fig. 5).

Nous nous étions aussi attendu à une normalisation des anomalies fonctionnelles liés à la pathologie. C'était le cas pour les noyaux gris centraux bilatéraux, le planum polare, et l'insula antérieur gauche, mais pas pour l'opercule rolandique gauche au-dessus de la zone de cohérence fibreuse réduite (Fig. 5). Cela indique que la thérapie normalise largement la fonction de ces régions périsylviennes impliquées dans la fusion du feedback auditif et les programmes moteurs (Hashimoto and Sakai, 2003; Christoffels et coll., 2007). La thérapie exploite probablement ce processus d'intégration en imposant un compteur dans la production de parole et en automatisant cette stratégie.

La BA 47/12 droite était la seule région montrant une corrélation inverse avec la sévérité du bégaiement avant et après la thérapie, ce qui confirme sa fonction compensatoire, mais qui soulève aussi la question de savoir pourquoi ce recrutement ne fournit pas un rétablissement durable.
D'après les données anatomiques et fonctionnelles chez les macaques et les humains (Petrides and Pandya, 2002), la zone BA 47/12 exerce un contrôle topdown [du haut vers le bas, NdT] sur les régions susmentionnées impliquées dans l'intégration feedback auditif/programme moteur. Comme le reste du réseau hyperactivé dans l'hémisphère droit, le contrôle de l'intégration du feedback par la BA 47/12 est imparfait. Cela est vraisemblablement dû à sa position contralatérale par rapport au reste du réseau du langage et à sa plus faible spécialisation pour le langage (Wildgruber et coll., 2006). Le coût d'une interférence [cross-talk] interhémisphérique (Ringo et coll., 1994), étant donné que la pathologie de substance blanche est détectée dans les fibres commissurales, pourrait empêcher un engagement total de la zone BA 47/12 dans le contrôle de la parole.
Rémission non-assistée durable par contrôle orbitofrontal postérieur gauche
Alors que les adultes rétablis conservent une anomalie permanente de matière grise dans le gyrus frontal inférieur, ils ne montrent pas d'anomalie de substance blanche significative. En fait, les PBR ont des valeurs d'AF intermédiaires entre les contrôles fluents et les persistants, comme les enfants rétablis, indiquant une normalisation des changements de la substance blanche associé au bégaiement dans le processus de rétablissement (Fig. 5) (Chang et coll., 2008). Les anomalies de substance blanche chez les enfants, cependant, n'ont pas été trouvées au même endroit que chez les adultes persistants. Parce qu'une limite de cette étude est la dépendance aux auto-rapports et aux enregistrements médicaux pour le diagnostic de l'ancien bégaiement chez les rétablis, ces différences pourraient être influencées par un biais de recrutement possible. Plus probablement, des changements de substance blanche pourraient apparaître pendant le développement. Idéalement, des études prospectives longitudinales sur un large échantillon de personnes bègues permettrait d'avoir une documentation sur les changements en cours de rétablissement. Une telle normalisation de la connectivité anatomique est documentée et résulte vraisemblablement de changements plastiques du cortex dans le voisinage de l'anomalie de substance blanche (Johansen-Berg, 2007). En conséquence, la seule activation significative du cerveau pendant la lecture ouverte chez les rétablis par rapport aux persistants a été trouvé dans le cortex orbitofrontal gauche adjacent à la pathologie de substance blanche des persistants (Fig. 5). La mobilisation de la zone BA 47/12 gauche est bénéfique parce qu'elle est localisée dans l'hémisphère spécialisée et peut ainsi plus efficacement contrôler l'intégration du feedback sensorimoteur pour induire la fluence de la parole que son homologue droit.

De façon intéressante, la spécialisation BA 47/12 gauche pour le contrôle exécutif de l'intégration du feedback sensorimoteur n'est pas limitée au rythme de la parole: la zone BA 47/12 bilatérale orbitofrontale était spécifiquement engagée par une tâche d'intégration sensorimoteur qui nécessitait la maintenance d'un rythme musical en présence d'un compteur. Lorsque le compteur était efficacement intégré avec la mesure principale, cette activation se latéralisait dans la BA 47/12 gauche (Vuust et coll., 2006). A l'intérieur de ce cadre de travail, les perturbations moteurs rythmiques additionnelles chez les persistants (mais pas chez les rétablis !) pendant des tâches moteurs complexes non-verbales (Forster and Webster, 2001) pourraient être vus comme une conséquence d'un défaut d'intégration sensorimoteur général reposant sur une défaillance à recruter la zone BA 47/12 gauche, qui pourrait soit être structurelle (une anomalie trop sérieuse de substance blanche) ou fortuite (limitation par une plasticité délétère préablable). Cette question pourrait être résolue dans le futur en étudiant si, entraîner non seulement la parole, mais aussi le rythme en dehors de la parole [nonspeech] peut efficacement produire des effets thérapeutiques à plus long terme chez les personnes avec bégaiement persistant que les thérapies conventionnelles, et si l'efficacité de la thérapie est inversement proportionnelle à l'étendue des anomalies structurelles.

Conclusion
Le bégaiement développemental est associé à des anomalies structurelles de la région frontale inférieure gauche et à un dysfonctionnement secondaire des noyaux gris centraux. La tentative de compensation implique l'hémisphère contralatéral (droit), qui pourtant ne fournit pas un soulagement suffisant du symptôme, cela étant probablement dû à l'insuffisante spécialisation du cerveau droit pour les tâches linguistiques et/ou à des questions de synchronisation de la connectivité à longue-portée. Restaurer un réseau dominant à gauche pour la production de la parole et réduire l'implication des régions dorsales du cerveau est un résultat efficace pour les thérapies induisant la fluence, mais insuffisant puisqu'il ne fournit pas des effets à long-terme. Par contraste, le rétablissement sans aucune aide est étayée par l'engagement du cortex orbito-frontal postérieur gauche à proximité d'une anomalie de substance blanche. Que cette anomalie soit manifeste lorsque le bégaiement persiste, mais pas après le rétablissement, suggère que la connectivité anatomique peut se normaliser en cours de rétablissement. De la même façon que le rétablissement de lésions aigües au cerveau, où des profils de compensation similaires, bien que moins efficaces, sont rapportés, la réparation du bégaiement par le cerveau montre que la compensation optimale suit une plasticité périphérique très focalisée.
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Figure 2 à 5 : 
Figure 2 Différences morphologiques et fonctionnelles entre personnes bègues et contrôles.
(A) Différences de matière grise: un décroissement unique significatif dans la matière grise chez les personnes bègues a été trouvée dans la portion supérieure du gyrus frontal inférieur gauche (PS5 contrôles, P50.05, corrigé). Le volume de matière grise (y-axis) co-variait négativement avec la sévérité du bégaiement (% syllabes bégayées, x-axis). (B) Différences dans la substance blanche : les persistants montraient des plus hautes valeurs d'AF par rapport aux contrôles dans la matière blanche sous-jacent le sulcus intrapariétal gauche, insula antérieur/gyrus frontal inférieur et le cortex orbitofrontal. Remarquez l'implication de fibres commissurales et des faisceaux connectant le gyrus frontal inférieur gauche avec les parties postérieures du cerveau juste en-dessous de l'insula antérieur. (C) Des différences dans l'activation du cerveau pendant la production de parole ; les résultats du groupe de comparaison de second niveau du contraste (lecture silencieuse contre lecture ouverte) entre les persistants pre-thérapeutiques (pre, jaune), persistants post-thérapeutique (post, bleu), et rétablis (rec, rouge) comparé aux contrôles sont projetés sur un gabarit de cerveau d'un sujet unique à un seuil de P50.005, non-corrigé, à des fins illustratives seulement. Les persistants activaient les régions fronto-pariétales droites seulement avant la thérapie. L'activité chez les rétablis diffère seulement légèrement de ceux des contrôles fluents (pour détails voir le texte et la Table 1).







Figure 3 Analyses ROI du cortex orbitofrontal operculaire.
Apposition des activations à l'intérieur des ROIs recouvrant la portion orbitofrontale de BA 47/12 sur des sections coronales (y = 14 and 16) à travers un gabarit de cerveau révèle seulement l'activation du côté droit chez les persistants à la fois avant (jaune) et après (bleu) thérapie, tandis que les rétablis activent la zone BA 47/12 bilatéralement (rouge). Le pourcentage de changement de signal (y-axis) dans la zone BA 47/12 orbitofrontale gauche est tracée pour les différents groupes, soulignant que les contrôles (vert) et les persistants (jaune et bleu) n'activent pas la BA 47/12 gauche plus fortement pour une lecture ouverte que pour une lecture silencieuse. La zone gauche BA47/12 est la seule région qui dissociait les rétablis de persistants, comme illustrés sur une coupe d'un gabarit de cerveau.




Figure 4 Représentation schématique des résultats des analyses de correlation.
Le schéma du haut dépeint les régions sous-corticales correlées avec la sévérité du bégaiement avant la thérapie, le schéma du milieu l'hémisphère gauche, et le schéma du bas les régions corticales de l'hémisphère droit qui sont correlées avec la sévérité du bégaiement. Des estimations de contrastes pré-thérapeutiques (y-axis) sont tracées contre la sévérité du bégaiement évaluée avant la thérapie (x-axis) en jaune, les estimations post-thérapeutiques en bleu, respectivement. Le même code de couleur est utilisé pour la représentation schématique, ou les cercles indiquent une corrélation positive avec la sévérité du bégaiement, les carrés indiquent une corrélation négative. Des changements significatifs induits par la thérapie dans la corrélation de l'activation du cerveau avec la sévérité du bégaiement sont marquées par un astérisque. L'activité dans le striatum bilatéral, le planum polare et l'insula antérieur gauche co-variait positivement avec la sévérité du bégaiement seulement avant la thérapie, tandis que l'activité de l'opercule rolandique gauche montrait une correlation positive à la fois avant et après la thérapie. Une corrélation négative a été trouvée seulement avant la thérapie dans le cortex préfrontal dorsolatéral et les gyrus angulaires. La zone BA 47/12 droite co-variait négativement avec la sévérité du bégaiement à la fois avant et après la thérapie.


Figure 5 Résumé schématique des principales découvertes.
Les corrélats structurels et fonctionnels de pathologie (gris), essai de compensation (schémas du haut), assistée (schémas du milieu) et rétablissement sans aide (schémas du bas) sont projetés sur les convexités des hémisphères cérébraux. Des activations fonctionnelles liées à la génération des symptômes sont trouvées dans l'insula antérieure gauche (1), le cortex moteur articulatoire (2), et le planum polare (3) près des anomalies anatomiques (croix grises). Le recrutement de systèmes dorsaux de l'hémisphère droit (4) et orbitofrontal BA 47/12 (5) réduit en partie la sévérité des symptômes (essai de compensation). La thérapie restreint l'hyper-activation au réseau ventral y compris la zone BA 47/12 gauche (5) et le cortex auditif bilatéral (6), et normalise presque la fonction périsylviennes. Un rétablissement non-assisté implique la zone BA 47/12 gauche (7) et est associé à moins d'anomalies structurelles frontales inférieures gauches.

Commentaires

O a dit…
Je remets ici le commentaire de Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel, qui a du sauter un post trop loin.
Et puis je me suis bien cassé la binette pour le traduire, je ne vais pas jeter un bouquets de fleurs.

"Waoouuhh !

Je suis super admirative
C'est vraiment un des articles tournant-de-la-recherche de ces dernières années. La recherche de miss Chang ne se comprend qu'à partir de cet article princeps.

je maile le pdf illico à mes étudiants..

Et en plus il a utilisé les termes "noyaux gris centraux, neuronal, substance blanche, du vrai français et -pas du bouligliboulgla - chapeau Olivier, c'est de la belle ouvrage, et toute la justification de votre blog.

Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel"
O a dit…
Merci Dr
Vous mettez de la pommade sur mon poignet et mes neurones complètement cramés :-)

Si ça peut servir à vos étudiants, ne serait-ce que dans le schéma de principe...alors je ne fais pas tout ça pour rien.

Il était gratuit en ligne ; je n'allais pas passer à côté de ça.
Laurent L. a dit…
Super boulot, Olivier. Je suis impressionné ! J'avais cru percevoir une petite démotivation : je me suis bien planté et j'en suis ravi !
O a dit…
Merci Laurent,
J'ai bien une démotivation, mais pas au niveau de mon intérêt pour la biologie du bégaiement.