Fer dans le cerveau : Le bégaiement, Trouble du mouvement, avant d'être un trouble de la communication

Version originale : doi:10.1093/brain/awab348 BRAIN 2021: 144; 2904–2905 | 2904


Un fer inattendu dans le feu de la production de la parole

Ce commentaire scientifique fait référence à Elevated iron concentration in putamen and cortical speech motor network in developmental stuttering, par Cler et al. (doi:10.1093/brain/awab283).

Le trouble de la fluence de la parole apparaissant à l'enfance, aussi appelé bégaiement, continue d'être une source de surprise. Des altérations dans les circuits du langage et de la parole sont depuis longtemps reconnus chez les individus qui bégaient (Fig. 1). Cependant, avec de nouvelles méthodologies, de nouveaux éléments d'information continuent d'émerger en ce qui concerne cet ancien trouble de la fluence de la parole. Dans ce numéro de Brain, Cler et ses collègues (1) ont appliqué un protocole de IRM récemment validé R2* (effective transverse relaxation rate) qui peut mesurer la teneur en fer dans le cerveau.

En utilisant cette technique, les auteurs montrent pour la première fois que que la teneur en fer est plus élevée dans le réseau de parole des individus qui bégaient, comparée à celle d'un groupe de contrôle de personnes fluentes(1). Cette découverte soutient et élargit des travaux récents qui ont utilisé des ultrasons transcrâniens pour révéler des dépôts de fer mésencéphaliques élevés chez les individus qui bégaient(2). De façon remarquable, aucun article n'avait d'hypothèse de direction, autrement dit on ne savait pas à quoi s'attendre. Néanmoins, ces observations de teneur en fer élevée pousse le bégaiement plus loin dans le domaine des troubles neurodéveloppementaux du mouvement.

L'homéostasie de la teneur en fer est important pendant le développement du cerveau, à travers l'âge adulte, et contribue à beaucoup de fonctions cellulaires. Le fer est présent dans les neurones, les oligodendrocytes, les astroglies et les microglies dans le système nerveux central. La teneur en fer est basse à la naissance et augmente par la suite, particulièrement dans les noyaux gris centraux, moins dans le cortex. La vitesse de dépôt de fer varie, avec un dépôt continuant dans la cinquième décennie de vie dans le putamen et le globus pallidus.
Cler et ses collègues ont observé un taux similaire d'augmentation de la teneur en fer avec l'âge dans les deux groupes, commençant à un plus haut niveau dans le groupe de personnes bègues. Il est tentant de spéculer que les individus qui bégaient divergent des contrôles tôt dans leur développement, avec une différence maintenue à l'âge adulte. Cependant, il est intéressant de noter que Cler que ses collègues (1) n'ont pas trouvé de corrélation entre la sévérité des disfluences de parole et les dépôts de fer. Cela suggère que la teneur en fer est un trait plutôt qu'un marqueur d'état.

Les dépôts de fer jouent un rôle dans les troubles neurodéveloppementaux tels que la neurodégénerescence associée à la pantothénate kinase (PKAN), un trouble des noyaux gris centraux caractérisé par une dystonie généralisée progressive. A noter que, des essais randomisés contrôlés des chélateurs de fer oral chez les patients avec PKAN ont montré que les médicaments étaient efficaces pour baisser la teneur en fer du cerveau, même si l'étude a manqué un point clinique final (5). Les présentes découvertes sur la teneur en fer chez les individus qui bégaient peuvent donc ouvrir une potentielle nouvelle voie pour une intervention pharmacologique pour le bégaiement.

Les dépôts en fer ont aussi été impliqués dans des troubles neurodégénératifs. Des augmentations dans la répartition du fer pendant le vieillissement, spécialement dans les noyaux gris centraux, ont été observés dans les affections neurodégénératives telles que Parkinson et Alzheimer(3).

La relation entre le fer et les troubles du mouvement est complexe. Le fer est un cofacteur essentiel dans le métabolisme dopaminergique(6). En aidant la tyrosine hydroxylase à fonctionner correctement, le fer permet la conversion de la tyrosine levodopa dans les boutons synaptiques du striatum. Des dépôts de fer élevés ont été observés dans des troubles du déficit de dopamine, on pense qu'une accumulation de fer déclenche un stress oydatif et favorise ainsi la neurodégénerescence. Ce stress cellulaire peut interrompre les circuits moteurs cortico-basaux ganglio-thalamocorticaux et donner naissance au phénotype du bégaiement.

Dans le bégaiement, cependant, un état hyperdopaminergique a été supposé. Cela est quelque peu difficile à concilier avec le ralentissement moteur lié ou non à la parole observé chez les individus qui bégaient. Comme nous l'avons précédemment supposé, la détérioration des performances moteur en tant que résultante d'un mouvement excessif peut constituer une explication pour la dopamine élevée dans le bégaiement.

Cler et ses collègues(1) ont trouvé un taux élevé de fer dans le putamen et les aires corticales en lien avec la parole, à savoir le cortex operculaire frontal gauche, le gyrus frontal inférieur, et le gyrus précentral ventral, tous limités à l'hémisphère gauche, à un seuil conservateur. Un fer cortical élevé a été associé à une dysfonction corticale(8).


Cette étude suscite au moins deux questions. D'abord, étant donné que le dépôt de fer augmente tôt dans l'enfance et continue à l'âge adulte, est-ce que les individus avec une homéostasie du fer élevée échouent à se rétablir du bégaiement ? Ce serait cliniquement pertinent, puisqu'un biomarqueur fiable pour diagnostiquer cliniquement l'apparition ou la progression du bégaiement nous fait actuellement défaut.

Deuxièmement, les individus qui bégaient présentent-ils des déficits moteur généraux ? Le comportement moteur doit encore être complètement étudié en parallèle avec les modifications de la parole chez les personnes bègues, même si on a déjà observé des tapements de doigts anormaux et autres mouvements anormaux chez les personnes affectées. Allant plus loin, nous recommandons l'évaluation de comportements moteur traditionnels tels que la marche ou la dextérité manuelle(2), pour obtenir une compréhension claire de la pertinence fonctionnelle du métabolisme dégradé par rapport au bégaiement. Des études futures évaluant les dépôts de fer localisés, des changements moteurs subtils et d'apparition du bégaiement devraient apporter des éclairages sur ces questions. Dans le même temps, examiner des tissus du cerveau post-mortem pour la présence de fer et des protéïnes liées pourraient fournir des aperçus significatifs de la pathogénèse du bégaiement.
Pour conclure, il y a quatre enseignements à tirer de ce travail. D'abord, les découvertes devraient encourager les chercheurs à utiliser des marqueurs sensibles au fer pour les études futures sur le bégaiement. Deuxièmement, nous recommandons d'examiner les comportements moteur au-délà de la parole dans les études sur les personnes bègues qui bégaient, pour gagner une meilleure compréhension de la pertinence de l'implication des noyaux gris centraux. Troisièmement, le dogme de longue date que le bégaiement est une condition comportementale ou psychologique doit être écarté. Le bégaiement ne devrait plus être classé comme un 'trouble de la communication' mais plutôt comme un trouble développemental du mouvement, et la prochaine génération de
ICD (International Classification of Diseases) devrait classé, le bégaiement en fonction de cela. Et quatrièmement, nous devrions maintenant nous sentir poussés à aller de l'avant pour développer des traitements biologiques efficaces pour cette affection courante.



Martin Sommer,1 Shahriar SheikhBahaei2 and Gerald A. Maguire3

1 Department of Geriatrics, Department of Neurology, University Medical Center Goettingen, 37075 Goettingen, Germany

2 Neuron-Glia Signaling and Circuits Unit, National Institute of Neurological Disorders and Stroke (NINDS), National Institutes of Health (NIH), Bethesda, MD 20892, USA

3 Department of Psychiatry and Neuroscience, University of California, Riverside School of Medicine, California, CA 92501, USA

Correspondence to: Martin Sommer

E-mail: msommer@gwdg.de

doi:10.1093/brain/awab348

Acknowledgements

The authors acknowledge the contributions of Seema Tiwari-Woodruff, PhD in the drafting of the commentary.

Funding

This work was supported, in part, by the Intramural Research Program of NINDS and NIMH.

Competing interests

M.S. serves as chairman of the German Stuttering Association (Bundesvereinigung Stottern & Selbsthilfe, e. V.), and also reports personal fees and grants from Deutsche Forschungsgemeinschaft, Primate Cognition (Leibniz-WissenschaftsCampus), Scientific Organizations (EFCN, UCL, DGKN, and IVS) and pharmaceutical companies (Novartis, GlaxoSmithKline, UCB, Medtronic), all outside the submitted work.M.S. has recently co-authored a paper onmesencephalic iron deposits in adults who stutter.2 G.A.M. has a research grant from Emalex and is a consultant with Noema Pharma, Intracellular and Vivera Biosciences. S.S. reports no competing interests.

References

1. Cler G, Krishnan S, Papp D, Wiltshire C, Chesters J, Watkins K. levated iron concentration in putamen and cortical speech motor network in developmental stuttering. Brain. 2021;144(10): 2979–2984.

2. Liman J,Wolff von Gudenberg A, Baehr M, PaulusW, Neef NE, Sommer M. Enlarged area of mesencephalic iron deposits in adults who stutter. Front Hum Neurosci. 2021;15: 639269.

3. Ward RJ, Zucca FA, Duyn JH, Crichton RR, Zecca L. The role of iron in brain ageing and neurodegenerative disorders. Lancet Neurol. 2014;13(10):1045–1060.

4. Sotoudeh H, Sarrami AH, Wang JX, et al. Susceptibility-weighted imaging in neurodegenerative disorders: A review. J Neuroimaging. 2021;31(3):459–470.

5. Iankova V, Karin I, Klopstock T, Schneider SA. Emerging disease-modifying therapies in Neurodegeneration with Brain Iron Accumulation (NBIA) disorders. Front Neurol. 2021;12: 629414.

6. Zucca FA, Segura-Aguilar J, Ferrari E, et al. Interactions of iron, dopamine and neuromelanin pathways in brain aging and Parkinson’s disease. Prog Neurobiol. 2017;155:96–119.

7. Berg D, Hochstrasser H, Schweitzer KJ, Riess O. Disturbance of iron metabolism in Parkinson’s disease – ultrasonography as a biomarker. Neurotox Res. 2006;9(1):1–13.

8. Spotorno N, Acosta-Cabronero J, Stomrud E, et al. Relationship between cortical iron and tau aggregation in Alzheimer’s disease. Brain. 2020;143(5):1341–1349.

9. Zelaznik HN, Smith A, Franz EA, Ho M. Differences in bimanual coordination associated with stuttering. Acta Psychol (Amst). 1997;96(3):229–243.

10. Turk AZ, Lotfi Marchoubeh M, Fritsch I, Maguire GA, SheikhBahaei S. Dopamine, vocalization, and astrocytes. Brain

Lang. 2021;219:104970.


TRADUCTION FRANCAISE : Un Olivier sur un Iceberg – 04/12/2021




Commentaires