Changsoo Kang, à la recherche des gènes du bégaiement (R.Latham, NIDCD, 2010)

Venu de Corée du Sud, Le Dr Changsoo Kang est le chercheur de l'équipe du D.Drayna, qui a fait le rapprochement avec la mucolipidose. On découvre ici qu'il voulu abandonner, devant la difficulté et l'ampleur de la tâche. Ce récit nous place de son point de vue, mais nous fait comprendre à quel point cette découverte fût difficile.
Le long chemin jusqu'à la découverte: Des gènes du bégaiement se dévoilent aux endroits les plus inattendus
par Robin Latham - Newsletter de printemps 2010. Texte original


Le Dr Changsoo Kang, collègue invité au Laboratoire de Génétique Moléculaire du NIDCD, a un souvenir très vif de ce jour-là. Assis dans une classe étudiante d'Introduction aux Sciences Biomédicales en Corée du Sud, on lui a demandé quel rôle joue les gènes chez les humains.

“J'ai dit que les gènes sont impliqués dans des fonctions qui ont quelque chose à voir avec la pensée et la parole, et on m'a dit que j'avais tort.”

Plus de 17 ans plus tard, le Dr. Kang et un groupe international de chercheurs menés par le Dr Dennis Drayna, ont montré que les gènes jouent effectivement un rôle, au moins dans la parole, avec la découverte de gènes associés au bégaiement. Le bégaiement est un trouble de la communication qui affecte plus de 3 millions de gens en Amérique, et 60 autres millions dans le monde. Leur découverte est en train de commencer à repousser la brume de mystère qui entoure le bégaiement et à tracer de nouvelles voies pour le traitement.

La façon dont cette découverte a été faite est une histoire d'ingéniosité, de persévérance, et de capacité à reconnaître ce que l'on recherche aux endroits inattendus.

L'histoire commence au Pakistan avec un groupe de familles touchées par un taux élevé de bégaiement. Les scientifiques ont toujours suspecté un composant génétique au bégaiement parce qu'il tend à se retrouver dans une même famille, mais trouver les bonnes familles à étudier, et en trouver suffisamment, est un défi. Il se trouve que le Pakistan est un très bon endroit pour étudier les maladies génétiques.

“Il y a un fort taux d'inter-mariage à l'intérieur des familles étendues, souvent les cousins se marient entre eux, cela se passe ainsi depuis des siècles,” dit le Dr. Drayna, chef de section aux Systems Biology of Communication Disorders au Laboratoire de Génétique Moléculaire au NIDCD. Par conséquent, cela restreint le pool génétique et rend les mutations plus faciles à trouver en utilisant les études de lien génétique, qui sont les principaux outils génétiques que les scientifiques ont pour localiser les emplacements des gènes.

Le Dr. Drayna avait déjà fait des études de lien avec le groupe Pakistanais et avait mis en évidence une région candidate prometteuse sur le chromosome 12, qui était susceptible de porter un gène mutant, mais des avancées supplémentaires se sont avérées difficiles.

"Il y a une raison pour cela", dit le Dr. Kang, qui a hérité des études de lien quand il est venu au NIDCD travailler dans le laboratoire du Dr. Drayna. “Certaines personnes se remettent naturellement du bégaiement en grandissant, donc il est difficile de dire qui est affecté et qui ne l'est pas. Trouver un gène pour le bégaiement est difficile parce qu'il n'y a pas de correspondance précise génotype-phénotype.” Pour un scientifique, cela signifie qu'il n'y a pas de résultat conséquent et prédictible entre la mutation du gène et son trait ou symptôme. Cela signifie aussi aussi qu'établir la relation en vis-à-vis du gène avec le trait est beaucoup plus difficile à prouver.

C'est à ce point que le Dr. Kang et le Dr. Drayna ont commencé. Ils ont impliqué davantage de familles Pakistanaises, et des personnes qui bégayaient en plus, sans aucune relation familiale, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, et ont rassemblé leur ADN et de ceux d'un groupe de contrôles dans les mêmes populations. Les contrôles étaient des personnes qui n'avaient aucun antécédent de problème de bégaiement dans leur famille. De retour au laboratoire, le Dr. Kang a commencé le séquençage. Il s'est avéré que la région d'intérêt sur le chromosome 12 contenait 87 gènes, ce qui signifie 87 gènes devant être séquencés et analysés pour voir si quelque chose apparaissait.

Quarante-cinq gènes et trois ans plus tard, le Dr. Kang s'est senti comme s'il travaillait sur un projet qui n'allait nulle part. “J'étais fatigué et frustré, je voulais abandonner et rentrer en Corée,” dit-il. “Aussi je suis allé dans le bureau de Dennis et je lui ai dit ce que je ressentais.”

Depuis le début, le Dr. Drayna savait que c'était un projet à haut risque, à forte récompense et qu'il y avait une possibilité que les dés ne s'arrêtent pas en leur faveur. Il ne pouvait pas blâmer le Dr. Kang de vouloir abandonner. Il n'avait rien à montrer pendant trois ans de dur labeur. L'avancement de sa carrière était sur la balance.

“Au cours de la semaine suivante, je n'ai fait aucune expérience,” dit le Dr. Kang. “Je me suis assis à mon bureau. Et un jour, j'ai pris l'ordinateur portable du laboratoire et j'ai commencé à regarder dedans, parce que j'allais le remettre au nouveau postdoctorant qui prendrait ma place. Et j'ai vu quelque chose.”

Ce qu'il a vu était une mutation dans un gène qu'il avait remarqué avant, mais dont il n'avait pas fait cas. Le gène, GNPTAB, était lié à une groupe de maladies connues sous le nom de mucolipidoses—troubles métaboliques fatals au point que la plupart des bébés diagnostiqués avec meurent dans la prime enfance. Il doutait qu'un gène pour un trouble métabolique pourrait avoir quelque chose à voir avec un trouble de la parole tel que le bégaiement. Intrigué, cependant, il a commencé à parcourir la littérature scientifique pour trouver ce qu'il pourrait sur les mucolipidoses. Jusqu'à ce qu'il tombe sur quelque chose d'intrigant. Les enfants avec des formes plus légères du trouble, qui passe la petite enfance, ont un développement de la parole retardé ou des anomalies de paroles.

Le Dr. Kang savait qu'il était sur quelque chose, mais il n'a pu trouver aucun article dans la littérature scientifique qui se référait spécialement à des problèmes de parole dans les mucolipidoses. Il a donc fait ce que nous faisons tous quand nous avons besoin de savoir quelque chose immédiatement—il a Googlisé. “Mucolipodoses + parole " lui a révélé un site qui décrit un type de mucolipidose dans lequel les enfants ne parlent pas du tout. Pas un mot. Avec cela, il a su qu'il devait être dans la bonne direction.

Des séquençages plus poussés de l'ADN des familles Pakistanaises ont montré que la mutation était présente chez certaines personnes qui bégayaient. Le séquençage a aussi révélé la découverte de la même mutation chez des membres du groupe original d'études de lien. Puisque les gènes GNPTAB étaient connus pour fonctionner avec d'autres gènes —GNPTG et NAGPA—il les a séquencés et a trouvé les mutations qui étaient présentes chez des personnes bègues et leurs familles, mais pas dans les groupes de contrôles. En fait, personne n'avait jamais trouvé d'être humain avec une maladie associé à des mutations dans le NAGPA, jusqu'à maintenant. Son seul effet connu est le bégaiement.

"Ce projet fait office de "figure emblématique" pour le programme interne du NIH," dit le Dr. Drayna. "Cela nous a pris plus d'une décennie pour obtenir ce premier résultat majeur, et les efforts herculéens du Dr Kang ont éventuellement payé, mais cela a pris pas mal de temps. C'est un privilège de servir dans une institution qui permet la recherche à long terme, risquée."

Lorsque le Dr Kang repense à ces jours en tant qu'étudiant, quand on l'a interrogé sur le rôle que jouent les gènes chez l'être humain, il ne peut s'empêcher de rire de l'ironie. “Mon formateur disait que les gènes n'avaient rien à voir avec la parole. Mais il s'avère qu'ils ont quelque chose à voir, et j'ai découvert l'un d'eux. C'est stupéfiant.”

Commentaires

Anonyme a dit…
Bravo et merci, Olivier pour cette belle traduction (soignée!) - qui montre parfaitement que ce n'est pas si facile que cela la recherche en général et la recherche génétique en particulier.
Apparemment il reste encore des gènes de cette séquence à analyser..

Effectivement on m'avait enseigné aussi que les gènes n'avaient rien à voir avec les comportements - mais cela se révèle inexact.
Le langage, son expression, l'aptitude au langage ont bien une biologie. Mais c'est aussi pour notre espèce l'assurance d'une meilleure transmission, d'une prédisposition à l'apprentissage qui s'est probablement intégrée à notre ADN au fil des siècles.

Gardez le cap !

Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel
O a dit…
Merci beaucoup !
J'étais content d'avoir trouvé cet article "inside" ou un chercheur raconte ses 'anecdotes' -si on peut dire !elles sont loin d'être bénignes- qui nous rapproche du scientifique, de l'homme au travail.

Je suis impatient de savoir ce qu'il n'ont pas encore révélé.